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mercredi 27 février 2008

[Dossier] DICTIONNAIRE des DESTINS BRISES DU ROCK de Bruno de Stabenrath

DE L'AUTRE COTE par Francis ZEGUT

A force de mettre deux roues dans l'herbe, certains finissent dans le fossé de la connerie. D'autres vont au Salon de l'agriculture à 6 heures du matin pour voir chier les bêtes.
Bon Scott, le routier rocker d'AC/DC, a été étouffé par son vomi sur la banquette arrière d'un taxi en février 1980, quelques jours après avoir jammé avec Bernie de Trust, sur Ride on, au Scorpio Studio de Londres. Michael Hutchence, le chanteur d'INXS, fait, durant des nuits sans fin, un stage de formation "master alambic" au Bus Palladium. A l'aube, il saute de voiture en voiture, rue Fontaine à Paris, enroulé dans une cape noire. Il finit quelques années plus tard pendu derrière la porte d'une jouissance inavouable.
Une corde aussi pour Ian Curtis, de Joy Division. Une bouteille de trop pour Rory Gallagher. Un sapin au milieu d'une piste pour Sonny Bono, de Sonny & Cher. Un gun pour Kurt Cobain et Marvin Gaye. Le mississippi pour Jeff Buckley.
Las Vegas, les putes et la coke pour John Entwistle, des Who. Un avion pour Otis Reddeing. Une baignoire pour Jim Morrison. Un crabe pour Frank Zappa. Cela en fait du monde de l'autre côté. Mais le cador en la matière est sans conteste possible Robet Johnson. Le gars pose les bases du blues, autrement dit du rock and roll. On le retrouve raide le 16 août 1938 dans une rue de Greenwood, aux Etats-Unis. Il n'a que 26 ans. Pas de toubib pour authentifier les causes du décès. Trois hypothèses rôdent, la syphilis, le coup de couteau ou l'empoisonnement. Rien que ça. On n'a jamais su. T'es vraiment trop fort...

Ils avaient le ventre creux. Les yeux qui sentaient le cul. La musette chargée. Le nez qui démangeait. Les veines au grand jour. Ils roulaient plein pot sans casque. Ils faisaient l'amour sur les bandes d'arrêt d'urgence. Ils enfilaient la vie. Ils pissaient contre les bars de l'immortalité. Ils avaient dans leur vie des trous qui les ont engloutis. Ils ont fait court, mais la poignée au taquet.

C'est drôlement bon de les revoir, là, couchés, glacés, et éternels.

D'ailleurs j'ai eu Hendrix au téléphone tout à l'heure, c'est dingue, depuis qu'il est mort il raconte que des conneries. Il fume des endives et n'arrête pas de répéter que biner c'est un peu fourrer son jardin...



ILS AVAIENT 20 ANS ET DES POUSSIERES

Souvenez-vous de leurs voix. Ils avaient 17 ans, 24 ans, 32 ans.
Ils sont morts jeunes. Crashes d'avions, accidents de voitures, overdoses, empoisonnements, bastons, défenestrations, fusillades, suicides, roulettes russes, hémorragies cérébrales. Le rock and roll est un vampire imprévisible et plein d'imagination. Quand il brise un destin, il veut de la fureur, du sang et des larmes. Mais, surtout, il veut tripler ses ventes et transformer le vinyle en platine, et la postérité en jackpot.
"Meurs jeune et tu auras un beau cercueil." Voilà ces destins brisés, souvent récupérés, merchandisés, compilés... la sacro-sainte règle du métier étant : The show must go on !
Alors, le spectacle continue.
Souvenez-vous de ces visages. Imprégnez-vous de leurs traits, retrouvez leurs musiques ou, mieux encore, découvrez-les. Faites chauffer les platines. Allez fouiller dans les caves de vos grands frères. Ecoutez leurs histoires.
Ils avaient 20 ans et des poussières; un avenir de météore tracé devant eux. La vie en a décidé autrement.


B. de S.



5 JUILLET 1954 : LA NAISSANCE D'UN MYTHE

Le rock and roll trace son premier sillon fertile au cours d'une journée torride, quelque part dans le Sud profond, le 5 juillet 1954, dans le Studio Sun à Memphis, au Tennessee, dirigé par le producteur et agent, Sam Philips, quand un jeune Blanc gominé de 19 ans, Elvis Presley, enregistre une vieille chanson d'Arthur Big Boy Crudup datant de 1943, "That's all right Mama". Sur un tempo binaire Rockabilly, avec Scotty Moore à la guitare et Bill Black à la contrebasse, l'Amérique, le terre promise, découvre la voix chaude, lancinante et syncopée d'un inconnu nommé Presley. Plébiscité par les disc-jockeys, dont Bob Neal et Alan Freed, qui, déjà en 1951, animait la première émission radio The Moon Dog Rock and roll House Party, le titre d'Elvis envahit les ondes et grignote les territoires du rhythm and blues, du boogie-woogie et du Doo-Wop, jusqu'ici réservé aux artistes noirs : Fats Domino, Ray Charles, Little Richard, Big Joe Turner, les Moonglows, Jimmy Reed, Bo Diddley, Muddy Waters, Chuck Berry... Ce sont eux, les précurseurs, les mèches de dynamite, mais l'Amérique puritaine, conservatrice et raciste, les cantonne aux dancings de la Nouvelle-Orléans, aux honky-tonks du Mississippi ou aux clubs de Harlem.
Le rock avec ses prêcheurs turbulents n'est pas vraiment en odeur de sainteté et ses heures semblent comptées. On lui préfère les big bands de Sinatra, la gentille country, les voix sirupeuses de Pat Boone, Ricky Nelson ou de Tommy Steele. Taxées de musique obscène et lascive par les masses bien-pensantes, les pouvoirs politiques et les industriels du disque, les chansons d'Elvis se font censurer par les programmateurs radios, car ces idiots pensent que Presley est noir ! Il faudra attendre le 9 septembre 1956 et son apparition à a télévision avec "Don't Be Cruel", au Ed Sullivan Show
(cinquante millions de spectateurs), pour inverser la vapeur et rallier le Nord avec le Sud, où Elvis le Pelvis qui enchaîne les tournées, cartonne depuis longtemps en concert dans les Etats sudistes. Sa bonne bouille, ses déhanchements et ses cils charbonneux, sans vraiment rassurer les parents, déclenchent l'hystérie des jeunes filles et l'adhésion des ados. Hollywood et la Paramount lui font des ponts d'or; il tourne Love me Tender, le colonel Parker devient son manager et le poulain sauvage ne le restera plus très longtemps. En attendant derrière lui, s'engouffre le fameux cru rock 1955 : Eddy Cochran, Buddy Holly, Roy Orbison, Johnny Cash, Gene Vincent, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, Bill Haley...
Quand le titre "Rock Around the Clock" interprété par Bill Haley et ses Comets débarque en France en octobre 1955, sur le label des disques Decca, il est le deuxième 45-tours de Bill, puisque "Shake Rattle and Roll", est sorti- un an plus tôt - chez les disquaires parisiens ! Enregistré le 14 avril 1954, "Shake Rattle and Roll" est donc LE premier rock de l'histoire dans les hit-parades français et européens.
L'année 1956, En France, voit aussi un trio : Boris Vian, Michel Legrand et un chanteur farfelu, Henry Cording (Henri Salvador) et ses Calypso Boys, composer des parodies de chansons rock (Rock Hoquet, Rock and Roll Mops...). Avec eux, un jeune prodige américain, élève de Nadia Boulanger, signe les arrangements, Quincy Jones, futur producteur arrangeur de Sinatra, Georges Benson et Michael Jackson.
En 1958, Danyel Gérard et Richard Anthony sont les premiers à se lancer dans l'adaptation sincère de succès rock américain : Peggy Sue, de Buddy Holly, et Three Cool Cats, des Coasters (qui devient Nouvelle Vague). Au début de l'année 1960, avec le tremplin du Golf-Drouot et l'émission de radio sur Europe 1 Salut les Copains, de Franck Ténot et Daniel Filipacchi, deux lionceaux, Johnny Hallyday avec "Souvenirs Souvenir" et Eddy Mitchell et ses Chaussettes noires avec "Tu parles trop", lancent définitivement la mode du rock français et son marché juteux de single 45-tours.



SEPTEMBRE 1955 : MORT DES REBELLES SANS CAUSE

Si désormais les teenagers adoptent le son et le tempo rock - mono, puis stéréo -, ils découvrent aussi l'image - les films en Technicolor et en Panavision - jusqu'à la même époque s'ajoute, à la panoplie musicale, le lokk définitif et sexy du rebelle sans cause - moto Harley-Davidson, blouson de cuir Perfecto, lunettes noires Ray-Ban, T-shirt (copié sur celui des GI, en forme de T), jean 501 à pression et boots à boucle - immortalisé sur les écrans de cinémas par Glenn Ford dans Blackboard Jungle (Graine de violence) de Richard Brooks, par Marlon Brando dans The Wild One (L'Equipée sauvage), de Laszlo Benedek, et aussi par James Dean, dans Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre), de Nicolas Ray.
Le 30 septembre 1955, au volant de son Spider cabriolet Porsche, sur la route de Salinas, James Dean se tue. Il a 24 ans et vient juste de terminer Géant, son troisième film. A l'annonce de sa mort, celui que les mauvaises langues de Hollywood appellent "le cendrier humain" passe du statut de movie star à celui de légende. Dean jouait du conga et fréquentait les jazzmen.
Six mois avant lui, le 12 mars 1955, à New York, The Bird, le saxophoniste Charlie Parker, décédait à 34 ans d'un abus d'alcool et d'héroïne et signait le livre d'or 1950's des artistes décimés par la drogue. Beaucoup de musiciens célèbres mais aussi tant d'anonymes, en mal de reconnaissance et de talent, mourront d'overdoses en voulant imiter leurs idoles, persuadés que se sont dans les paradis artificiels et les nuages hallucinogènes que se cache le secret du génie et des inspirations virtuoses. N'est pas Billy Holiday, Chet Baker ou Miles Davies, qui veut...



FEVRIER 1959 : THE DAY THE MUSIC DIED

Pourtant, à l'avènement du rock and roll et des années 60, alors que son avenir semble précaire et menacé par ses censeurs, c'est la mort accidentelle et spéctaculaire de trois jeune rock stars, à l'aube de leur carrière, qui va émouvoir et réveiller une Amérique encore emmitouflée dans ses réticences.
Le 3 février 1959, à 0h50, surpris dans une tempête de neige, le petit avion Beechcraft Bonanza qui transporte Ritchie Valens, 17 ans ("La Bamba"), Buddy Holly, 22 ans ("Peggy Sue") et The Big Bopper, alias J. P. Richarson, 29 ans ("Chantilly Lace") s'écrase avec son pilote, Roger Peterson, à Clear Lake dans l'Iowa. Le lendemain, une journaliste écrira en gros titre : "Le jour où la musique est morte." Un confrère reprendra pour son quotidien l'édito en y changeant le sens : "Le jour où l'on a tué la musique." Sans le prévoir, il jette de l'huile sur le feu et la suspicion chez les fans choqués par les disparitions tragiques : l'avion s'est-il scratché à cause du mauvais temps ou quelqu'un a-t-il volontairement saboté l'appareil pour supprimer ces idoles. Désormais, la jeunesse rebelle , n'a plus besoin de cause pour se révolter. Le rock and roll est son étendard, et la guitare Fender Stratocaster, "une machine à flinguer les cols blancs!".



1954 - 2004 : HAPPY BIRTHDAY ROCK AND ROLL !

Opérant à chaque décénie, souvent violente et protéiforme, un phénomène de génération contestataire, face à l'ordre établi et au monde des adultes, le rock and roll, dès la fin des années 50, devient une culture à part entière, un phénomène de masse, foisonnant, clinquant, innovant - très vite récupéré, copié, vampirisé, exploité, samplé, détourné - par l'industrie du show-business. Tout en suivant le cours de l'histoire et de ses évènements, le rock and roll crée et invente au fur et à mesure sa propre mythologie, avec sa cohorte d'idoles et de martyrs, de tabloïds, de succès, de disque de platine, de Music Awards, de scandales, de drames et d'impostures, mais demeure incontournable et référentiel, grâce à ses propres codes, artistiques, idéologiques, esthétiques et technologiques.
Si aujourd'hui le rock c'est assagi et fête son cinquantenaire, il est passé par moult phases, englobant tant de genres et d'écoles : blues, folk, country, soul, pop, funk, disco, punk, hard, reggae, Heavy Metal, grunge, rap, Dance, techno, R'n'B... qu'on a du mal parfois à le situer, si ce n'est dans son paradoxe, celui même qui continue à assurer sa survie - à la fois l'antithèse de ce qu'il était au départ : une brèche, une révolte, une attitude, une création ; et de ce qu'il sera toujours : un formatage, un marché, une exploitation. La seule valeur qui perdure, intemporelle et stupéfiante (au sens large du terme) demeure dans la veine même de sa création et de ceux - chanteurs, auteurs, compositeurs, musiciens -, magnifiques et désespérés, qui ont bâti sa légende et gravé dans la cire et dans nos coeurs des mélodies immémorables, des textes ciselés, des refrains dévastateurs, des voix inoubliables... Et parce qu'ils étaient jeunes, purs, fous, impatients, incompris, malades, abandonnés... La mort les a fauchés vite, et sans états d'âme !



Référence : Dictionnaire des Destins brisés du Rock de Bruno de Stabenrath chez Scali








L'AUTEUR

Bruno de Stabenrath
Comédien, mucsicien, auteur-compositeur, chanteur, écrivain, scénariste,
chroniqueur, night-clubber.


Bruno commence se carrière de comédien avec François Truffaut dans L'Argent de poche et tourne une dizaine de films avec Ettore Scola, Pierre Schoenderffer, Claude Zidi. Il chante dans la comédie musicale Emilie Jolie de Philippe Chatel.
Au début des années 80, il collabore au mensuel Guitare Magazine.
Passionné de sports de glisse et de l'histoire du rock and roll, il devient un spécialiste de la Surf Music des années 60 et de la musique californienne. En 1999, il anime un show radio hebdomadaire Kowabunga sur Ouï FM. Il écrit dans de nombreuses revues (Technikart, Jalouse, Figaro Magazine, Gloss, Men's Health, Le Nouvel Observateur...). Bruno a eu un destin brisé aussi.
En 1996, alors qu'il vient de signer un contrat dans une maison de disques avec son groupe JamB4, il est victime d'un très grave accident de voiture qui le laisse tétraplégique. Bruno est l'auteur de deux romans : Calvacade, en 2001, traduit en 15 langues, et Le Châtiment de Narcisse en 2004, parus aux éditions Robert Laffont.

A suivre...